L'intégration de Gipuzkoa au sein du royaume de Castille en 1200
Il existe très peu d'informations sur le rattachement de Gipuzkoa au royaume de Castille en l’an 1200, aussi les interprétations sont-elles nombreuses. Même si les polémiques tournent habituellement autour de la question de savoir si ce fut une simple conquête ou s’il y eut une cession pactisée, le sujet est plus complexe, notamment du fait que Gipuzkoa n’était pas à cette époque un territoire bien défini et encore moins organisé administrativement comme tel. Les intérêts des habitants n’étaient pas non plus homogènes, pas même parmi les élites.
Alfonso VIII de Castille incorpora le territoire guipuzcoan lors d’une période de siège et de conquête de Vitoria et de ses environs, c’est-à-dire dans un contexte de grande pression militaire, même si l’on ne peut pas affirmer qu’il alla jusqu’à envahir Gipuzkoa. Vitoria avait été fondée sur le hameau de Gasteiz par le monarque navarrais Sancho le Sage en 1181, qui venait d’octroyer la « charte de privilège de population » (carta-puebla) à San Sebastián, probablement un an auparavant. Ces « bases » navarraises répondaient à une double volonté de consolider le territoire en contact avec la Castille (fondation en Alava des cités de Laguardia, Antoñana, Bernedo, Labraza, Portilla, et peut-être Treviño et la Puebla de Arganzón) tout en se rapprochant de la mer alors que Bayonne venait de passer sous domination anglaise. Castilla pouvait donc avoir les mêmes intérêts, bien qu’opposés, que les navarrais en ce qui concernait Alava et la recherche d’une sortie vers la mer.
Rodrigo Jiménez de Rada, archevêque de Tolède et homme de confiance d’Alfonso VIII (et bien qu’originaire de Navarre) signale que son Seigneur prend possession en 1200 de la Terre de Gipuzkoa avec, entre autres, les châteaux de San Sebastián, Fuenterrabia, Ausa, Ataun et Beloaga. La manière dont Alfonso VIII obtient ces châteaux est inconnue : certains ont pu être pris par la force, d’autres ont peut-être capitulé voire été évacués afin de renforcer la garnison de Vitoria, qui finit elle-même par céder devant les Castillans après en avoir obtenu la faculté de la part du roi de Navarre. Cette même année la Castille et la Navarre signent des trêves, conservant, à peu d’exceptions près, les positions qu’elles occupaient durant le conflit. Alfonso VIII, dans son testament de 1204, semble exprimer l’intention de rendre à la Navarre les territoires occupés durant la dispute, intention non réalisée par la suite.
La question la plus polémique tient à la collaboration supposée, ou du moins l'absence de résistance, de la part des seigneurs du territoire face à Alfonso VIII, ainsi que l'entrée négociée sous sa souveraineté. Rien n’est écrit sur ce sujet à l’époque, et les premières mentions relatives à cette question apparaissent au milieu du 16e siècle avec Esteban de Garibay, qui prétend, à partir d’une vision fondée sur le pacte, expliquer l’origine du régime foral guipuzcoan par un compromis entre les dirigeants guipuzcoans et le Roi. Il développe la théorie selon laquelle un groupe de seigneurs, au cours de l’invasion du territoire d’Alava et mécontents (pour des raisons inconnues) du Roi de Navarre, décidèrent de transférer leur loyauté vers le Roi de Castille.
Bien qu’il semble contradictoire que, trois siècles et demi plus tard et à partir de la défense des Fueros (constitués comme alternative réussie à la domination des Parientes Mayores), l’on puisse concéder le rôle protagoniste dans une telle décision aux seigneurs féodaux, il faut comprendre que, lors du passage du 12e au 13e siècle, seule l’élite de Donostia, parmi l’ensemble de la population, pouvait avoir eu un quelconque poids politique. Ceux qui défendent cette thèse argumentent que, s’il s’est agi d’une occupation voulue de façon définitive et immédiate, Gipuzkoa manquait de développement administratif et d’articulation territoriale pour pouvoir être associée au nouveau Roi sans compter sur la collaboration totale des seigneurs et des chefs locaux. Par ailleurs, on prétend aussi que la collaboration des dirigeants de l’Alava et Gipuzkoa avec le roi de Navarre par la suite, que la défection même de Diego López de Haro (sous le commandement duquel les territoires se seraient trouvés) et sa retraite en Navarre, ainsi que le contrôle ultérieur des Navarrais sur certains des châteaux cités en 1200, sont des faits ou des données qui peuvent tout aussi contredire la thèse initiale.
Ce qui est en revanche plus certain est le fait que, plus que la dynamique militaire, la cimentation ultérieure du contrôle de la Castille sur ce qui sera Gipuzkoa s’est fondée sur une poursuite de la politique initiée par les rois navarrais : l’impulsion donnée aux villas, c’est-à-dire aux cités. En 1203, Alfonso VIII fonde Hondarribia à l'estuaire du fleuve Bidasoa, porte vers l’Aquitaine et territoire qui, par dote, correspondait à son épouse. En tout cas, la fondation des autres villes portuaires (Getaria et Mutriku en 1209, Zarautz en 1237) donne à penser à une stratégie beaucoup plus ample de la Castille en direction de la mer et de l’occident européen, qui réduisait d’autant plus la marge de manœuvre de la Navarre. Aussi, si le mécontentement supposé des seigneurs guipuzcoans envers le roi navarrais avait été lié aux privilèges des cités – comme il a été prétendu -, le triomphe de la cause castillane ne leur a été d’aucun bénéfice en la matière. C’est peut-être ce qui explique les réactions ultérieures des Parientes Mayores, qui firent pression pour freiner ce développement, en pratiquant la menace ou une loyauté versatile entre les deux royaumes, selon les circonstances. Il est néanmoins possible également qu’une telle réaction soit apparue plus tard, après la généralisation des fondations des cités, étant donné que Gipuzkoa (et dans une moindre mesure Alava et Bizkaia) a connu un processus très important d’urbanisation juridique et territoriale, avec 25 villas sur moins de 2 000 km2.